Histoire d’une donation
« Les dessins exposés ici ont été rapportés par Arthur Goldschmidt, mon père, après sa libération du camp de concentration de Theresienstadt où il assura les fonctions de pasteur des Juifs protestants internés. Il revint chez lui à Reinbek, près de Hambourg, fin juillet 1945, il continua à peindre et dessiner après son retour et mourut en février 1947 à soixante-quatorze ans. Je découvris ces dessins assez tard chez ma sœur qui était beaucoup plus âgée que moi et qui échappa à la déportation du fait de son mariage avec un « aryen ». Ces dessins apparemment lui « brûlaient les doigts », peut-être lui rappelaient-ils qu’elle avait été épargnée alors que des millions d’autres avaient péri dans l’épouvante.
Entre 1949 et 1983, je me suis souvent rendu en Allemagne dans ma famille, j’ai regardé ces dessins assez tôt sans vouloir vraiment les voir, comme si j’avais, en somme, moi aussi honte de ma survie. Je les regardais distraitement pour m’en défendre. J’essayais de leur donner une sorte d’objectivité, pris que j’étais entre tendresse familiale et gêne devant l’horreur et l’angoisse que je n’avais guère vécues. Il me fallut une vingtaine d’années et le regard de ma femme pour que m’apparaisse enfin toute l’importance de ces dessins qui rendent si bien compte et avec tant d’apparente objectivité de l’effroyable condition de tous ces gens en attente d’une mort certaine.
Ce fut lors d’une première visite presque fortuite au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation qu’il fût évident que c’était par destination le lieu de leur conservation définitive, d’autant que Lyon est aussi la ville, où le 4 août 1944, fut fusillé par la Milice mon condisciple André Reussner, citoyen suisse, engagé dans la Résistance dans le réseau de Madame Denise Domenach-Lallich. Il avait dix-huit ans et commençait ses études de médecine. Ainsi cette exposition perpétue aussi le souvenir de tous ceux qui donnèrent leur vie afin que d’autres vivent. »
Georges-Arthur Goldschmidt, novembre 2014