Georges-Arthur Goldschmidt par Roger-Yves Roche
Romancier de lui-même, traducteur des plus grands, essayiste de talent, Georges-Arthur Goldschmidt (né le 2 mai 1928 à Reinbek, Allemagne) est un écrivain que l’on dira « complet » et qui a su forger une œuvre d’une extrême singularité, sans doute unique en son genre. Ses premiers livres (Marcel Béalu, un cas de flagrant délit, Un corps dérisoire, Molière ou la Liberté mise à nu) marquent d’emblée son territoire : le Moi y est omniprésent, partagé, pourfendu qu’il est, entre exaltation physique et obsession métaphysique.
La suite n’est que la reprise, musicale et superbe, de ce thème obsédant. Le Miroir quotidien, Un jardin en Allemagne ou encore La Forêt interrompue racontent la même histoire, celle d’un enfant contraint de quitter son pays natal, l’Allemagne devenue nazie, un jour maudit de mai 1938. Le pressentiment de soi se fait définitivement corps. Les mots, le phrasé, tracent en de soudaines lignes mélodiques les méandres d’une mémoire devenue sensation, ce que l’auteur appellera plus tard la « matière de l’écriture ».
Lecteur subtil et radical de penseurs hors norme (voir le percutant Jean-Jacques Rousseau ou l’esprit de solitude), Goldschmidt retrouve – et cherche – dans la philosophie de l’autre ce qu’il cherche – et retrouve – dans sa quête de lui : la trace d’une pensée toujours en mouvement, laquelle signerait la possibilité d’un être irréductible à tout système.
Traduisant Nietzsche, Stifter, Handke ou commentant Kafka, son frère en écriture (Celui qu’on cherche habite juste à côté), revenant encore une fois par-devers son double (le bien nommé L’Esprit de retour), l’écrivain-qui-aurait-voulu-être-peintre n’a de cesse, depuis près d’un demi-siècle, d’explorer les profondeurs de son paysage intérieur. Histoire de faire remonter à la surface les images familières-inquiétantes d’une enfance enfouie. En fuite. Comme dans le fond d’un ciel sans fin.