Photographies d'Emmanuel Berry
Exposition temporaire
18 septembre au 14 décembre 2008
« C’est en silence que je me suis rendu à Oswiecim, je venais de quitter Cracovie, une ville sans doute romantique, aux couleurs variées. Je ne sais pas ce qui pousse un photographe à se rendre aux frontières du visible ; en tout cas, il s’agit bien précisément pour ma part d’une quête où la photographie se révèle à nouveau peu à peu, se glissant obstinément là où on la rejette. Sincères sans être fragiles, les images se fabriquent presque d’elles-mêmes. Je le pense. Après avoir cherché quelques fantômes oubliés, calmement je me suis accordé plusieurs jours de répit dans ces « alentours » où la lumière excelle dans son rôle de manière immuable, comme partout ailleurs. J’ai donc photographié ces à-côtés sereinement, là où le gris reste vert, bleu et doux à la fois. J’espère que ce que je sais ne contamine pas ce que je vois. » Emmanuel Berry
Cinquante images d’Oswiecim
« J’espère que ce que je sais ne contamine pas ce que je vois » écrit Emmanuel Berry en conclusion d’un court texte présentant sa série photographique. Cinquante images noir et blanc s’alignent le long des murs du hall de la mémoire, spécialement peints en gris foncé, pour faire de chaque photographie une fenêtre ouverte sur un paysage qu’on pourrait qualifié de banal, si cette banalité n’était teintée d’inquiétude. S’appuyant sur des tirages précis, relevant de la prouesse technique, le photographe propose une approche archéologique des lieux, une promenade autour de la ville, guidé par la seule volonté de ne pas dire « plus de choses que cela ».
Les abords d’Auschwitz
Cette discrétion photographique, cet à côté du lieu ou, plutôt, du « lieu malgré tout » selon l’expression de George Didi-Huberman, se construit sur un angle d’approche préexistant parfaitement défini. Quand Michael Kenna photographie l’intérieur des camps, qu’il soumet au prisme d’une esthétique très prononcée, Emmanuel Berry fait le choix délibéré de ne s’intéresser qu’aux seuls abords. Déambulant dans les rues, les sous-bois, les champs d’Oswiecim, le photographe interroge les limites, les frontières du camp d’Auschwitz. En travaillant sur les entours, sur la lumière et le temps suspendu, il joue sur les codes du monde visible et du monde invisible, qu’en l’absence de toute image directe et évocatrice notre mémoire seule recompose.
Photographie et transmission de la mémoire
Ce non-dit photographique pourrait dans un premier temps sembler illustrer le refus de l’esthétisation des camps, prégnant dans les années d’immédiate après-guerre et condamnant toute tentative artistique, fût-elle littéraire ou poétique. Il dit plutôt comment le geste artistique d’un individu, issu d’une génération qui n’a pas connu la guerre, peut à son tour œuvrer pour assurer la transmission de cette mémoire. L’intervention plastique du photographe interfère sur un réel que le CHRD a également souhaité restituer au public dans toute sa plénitude.
Le photographe et l’historien
Tandis que le photographe agit sur ce réel, l’historien s’y confronte, le pèse, l’évalue, le traque inlassablement. Enquête historique et approche artistique contribuent sur des modes distincts à la représentation et à la transmission de la mémoire des camps. L’historien, spécialiste d’Auschwitz, Jean-François Forges livre, dans l’exposition, sa propre lecture des images d’Emmanuel Berry. Il dresse un état des lieux des recherches en cours, définit l’étendue du complexe concentrationnaire, décrit les lieux et leurs fonctions. Et ajoute au trouble causé par l’interpénétration du camp d’hier et de la ville d’aujourd’hui.